Villeconin, Saudreville : 2 châteaux, des fermes vénérables… et le printemps

(Rendez-vous en fin de notule pour des élaborations sur le pourquoi de ces marches.)

Gare parisienne : Paris Austerlitz (ligne C direction Dourdan la forêt)
Gare de départ : Dourdan (Essonne), puis TÀD jusqu’à Villeconin
Gare de retour : Étréchy (ligne C sur la branche Étampes, direction Paris Austerlitz).
Distance : 9 km.
Durée : 5h pour moi (beaucoup de visites patrimoniales, dont 30 minutes dans l’église d’Étréchy), sinon 3h à 3 km/h (marche douce)

1. Partir

Un rare après-midi ensoleillé, des dossiers à avancer (je ne travaille jamais mieux qu’en plein air et en marchant) et le pressentiment du printemps : restait à trouver un moyen de transport dans le Grand Effondrement que vit le réseau francilien.

Pas de TÀD (le Transport à la Demande, pour être posé loin des zones urbaines, voir le concept ici) pendant les vacances scolaires à Étréchy, tous pris dans le Mantois, la valle de l’Ourcq accessible seulement avec correspondance de trois trains (lignes E-P-P), seulement possibilité de 14h30-17h30 à Méréville (et pas intérêt à le rater, sinon c’est 3h de marche et rater le dernier train), pas de métro à Austerlitz (et le train qui se ferme 3 minutes avant l’horaire de départ), 7 trains dans la journée pour Montereau et arrêts bloqués par la fête napoléonienne… Un peu acrobatique, beaucoup d’essais-erreur en essayant de préparer l’expédition (dès la veille, avec ajustements matutinaux).

Ne croyez pas qu’il y ait de quoi se décourager : le réseau en étoile permet, depuis Paris, une combinaison assez vertigineuse de choix, et de s’en mettre plein la lampe ! Il faut descendre jusqu’à Dourdan (donc aller à pied à Austerlitz, puis faire toute la ligne), seule façon de remonter jusqu’à Villeconin… mais c’est un coin du Hurepoix chéri où je n’ai pas encore mis les pieds, non loin de lieux (pour moi) mythiques : Saint-Sulpice-de-Favières, le bosquet iconique de Saint-Chéron, la chapelle de Saint-Yon, les contreforts élevés d’Étréchy…

(ci-dessus, la grande clairière du Bois des Rochets à Saint-Chéron)

2. Villeconin

Le projet était d’accéder à Villeconin – et son château, propriété privée ouverte l’été. En effet j’ai raté le splendide Château du Marais au Nord de Saint-Chéron, qui était ouvert l’été sur le même mode, qui a été vendu deux ans après que j’apprenne cette possibilité, et qui est non seulement désormais fermé, mais totalement dépouillé de tout son mobilier qui a été vendu : il n’y aura pas de séance de rattrapage. À l’inverse, souvenir incroyable du Domaine de Courson (un peu au Nord-Est) absolument désert un soir de couvre-feu – je raconterai peut-être un jour dans ses pages mon rapport singulier à la marche, à la loi et à l’éthique, les trois finement intriquées, pendant la Grande Pandémie.

(le Domaine de Courson un soir d’automne en 2020)

Depuis Villeconin, le projet était de joindre Souzy-la-Briche (où se trouve également un château privé), un trajet qui me faisait passer par le Château de la Grange (où, je l’espère, on a coutume de dîner au son de réductions instrumentales de Gustav Mahler), puis revenir à Saint-Chéron : 5 km de promenade en 5h, parfait pour avoir le temps de marcher-travailler, de constituer paisiblement mon herbier prévernal, et de badauder devant tous les châteaux et églises qui allaient nécessairement retenir mes pas.

Et tout commence pour le mieux : le véhicule me dépose devant une étonnante église encastrée dans la place – d’après l’explication locale (toujours sujette à vérifications bien sûr), des alluvions apportées par les orages ont surélevé le sol de la place, ce qui explique que l’église soit plus basse, entourée de petites douves, et qu’on y accède par des marches descendantes. Très joli brin de premier gothique (donc second XIIe siècle, dans la région), enrichie.

Le porche de son portail Sud dispose d’une adorable charpente apparente (comme, toutes proportions gardées, pour la spectaculaire Saint-Éliphe de Rampillon, dans la Brie), refaite récemment avec beaucoup de goût.

Elle est fermée naturellement… mais après toutes ces années, voyez que j’ai mis la main sur le Précieux :

Il faut certes prendre rendez-vous, mais il est donc possible d’accéder aux trésors du Dourdannais – je ne connais l’intérieur que de celles de Dourdan, Sermaise (clef disponible à la mairie, mais il ne faut donc pas y passer le week-end) et Saint-Chéron. Et une petite conversation avec les locaux, c’est toujours le plaisir d’apprendre beaucoup ou, quand ce n’est pas le cas, de découvrir d’autres appréhensions du monde. (Souvenir notamment d’un exposé sur l’alignement d’un autel sur une ligne de force cosmo-tellurique, mais aussi de conversations sur le patrimoine, la foi, le tourisme ou les loisirs, chacun envisageant ces choses de façon différentes selon son éducation, sa génération, ses tropismes propres…)

(l’église de Sermaise avec un premier plan un Marrec un peu immodestement triomphant)

Le château de Villeconin, sur une base du XIVe largement réaménagée au XVIIe siècle, et disposant paraît-il d’une remarquable Salle des Gardes, tient toutes ses promesses dans le soleil d’hiver – qui n’a rien de caressant, et brûle assez impitoyablement en ce samedi.

Nous sommes un peu à l’écart de la grande vallée du cresson, plutôt au Sud d’Étampes vers Méréville, mais la Misère (la courte rivière qui alimente à la fois le château et la Renarde, un affluent de l’Orge) est naturellement colonisée par du beau cresson d’eau – vous pouvez le vérifier de vos propres yeux, je ne vous raconte pas de salades.

Après plusieurs tours de l’église – c’est statutaire, lorsque je me promène seul je laisse libre cours à mes pulsions de complétude – et contemplations des parties visibles du château, je me dirige vers le charmant lavoir (fermé).

Puis il faut opérer un choix.

J’ai très envie de me plonger dans cette prairie aux verts radieux dont seul l’hiver a le secret. Toutefois son chemin me mène au milieu de nulle part. Il faut plutôt que je retraverse la ville, grimpe le coteau, et une fois aperçu le château de la Grange, que je retrouve des zones mieux connues vers Souzy-la-Briche.

Je fis donc ce que je ne puis jamais m’empêcher de faire dans aucune promenade : changer de parcours au gré des envies de l’instant et des promesses du paysage.

Ce ne sera pas un retour vers Saint-Chéron au Nord, mais au contraire, un cap Sud-Est pour Étréchy, à peine plus long, et permettant d’admirer au passage le château de Saudreville.

3. Villeneuve-les-Fourches

La première étape, après cette grande pièce de champ (la Bruyère des Fourches à droite, la Boissière à gauche) – où je croisai l’un des très rares promeneurs de la journée, photographe d’oiseaux en treillis –, aboutissait à Villeneuve les Fouches, qui semble en réalité, en fait de hameau : une ferme.

Lorsque je dévale la colline vers Fourchainville – l’onomastique de toute cette zone est particulièrement transparente –, je contemple à loisir la cause de tous les maux de l’humanité.

(Cette notule est – manifestement – subventionnée par la Société des Amis de J.-J. Rousseau.)

Je mentirais néanmoins si, tout conscient de la violence qu’a probablement engendré notre sédentarisation néolithique, je prétendais ne pas avoir pris de plaisir à contempler le vert électrique des jeunes pousses, sélectionnées de main d’homme et promises à nos bidons avides.

4. Saudreville

Depuis le plateau de la Boissière, déjà (au sortir de Villeconin, si vous avez bien suivi), je devinais que les murs roses laissés apparents par les arbres nus, et qui enlaidissaient hardiment le coteau, d’une façon impudique qui sentait le plaisir d’être vu – devaient appartenir au château de Saudreville.

J’avais bien évidemment raison, et toute la route d’accès au coteau est bordée de ses multiples murs d’enceinte.

On peut le vérifier aussi de près : le bon goût n’est pas au cœur du geste architectural – précisons à toutes fins et utiles, afin de ne pas compromettre mon immaculée-réputation, que la photo est prise du talus où passe la route ; je n’ai pas grimpé aux arbres pour immortaliser la chose.

La grande allée de d’accès bordée d’immenses marronniers et la grande salle d’apparent au rez-de-chaussée ont tout de même une certaine allure – comme dans le château de Montgeroult, la pièce centrale est assez étroite et percée de fenêtres des deux côtés, si bien que l’on peut voir de la cour vers le jardin, et que la pièce est baignée de lumière. Toujours un grand plaisir que ce type d’architecture aristocratique aux dimensions modestes, le confort y est tellement plus central !

Pour autant, le monument qui a le plus retenu mon attention de toute la journée fut la ferme « Les Ronces », en particulier pour sa grange (son étable ? les portes dans la cour sont un peu basses pour une écurie) du XVIIe siècle, aux arcs de décharge soulignés en brique, infiniment plus élégante que n’importe quel château rose – je n’ai pas d’arrière-pensée, si j’avais une arrière-pensée pourquoi ne la dirais-je pas ?

Comme seule sa ceinture directe était grillagée, j’en fis le tour avant de reprendre ma route. L’impression de toucher au bout de l’univers connu.

… À telle enseigne que je reste persuadé que, si l’on poussait cette porte, une section non cartographiée du Multivers s’étend.

Le village (une rue en arc-de-cercle sise sur une rue droite) est par ailleurs un régal pour les adeptes du mot-dièse #PassionMurs (ne cherchez pas, je suis le seul à l’utiliser, j’ai vérifié). Beaucoup de beaux appareils simples en petits moellons irréguliers.

5. La Criée et la route de Vaucelas

C’est parti pour deux kilomètres de champs. L’impression d’infini flatte pendant les premiers mètres, certes, puis l’ennui guette. D’autant que le sol est trop tendre, légèrement boueux par endroit, pour permettre de travailler tout en marchant, et que par une erreur de manipulation, je dois économiser ma batterie – et ne puis donc compenser en écouter les meilleurs podcasts du moment ou la fine fleur du concerto pour violon français du début du XIXe siècle. (Excusez-moi Madame, connaissez-vous Notre Seigneur Pierre Rode ?)

Je fais partie, voyez-vous, de ces personnes qui sentent en permanence le frisson de ce que la vie pourrait être complètement différente si l’on allait ici plutôt que là, accomplissait telle activité plutôt que telle autre… figurez-vous mon émoi devant ce genre de scène.

(En réalité pas du tout, le chemin de droite conduit à un détour de plus de 5km, soit une augmentation d’à peu près 33% de ce que j’ai dû parcourir dans l’après-midi… mais ces Carnets boueux ne sont-ils pas avant tout l’occasion de partager diverses rêveries ?)

Le soleil décline mais je n’en verrai pas les derniers feux : il aurait fallu rester à l’extérieur d’Étréchy, trop en dévers pour pouvoir contempler les rougeoiements du ciel.

C’est d’ailleurs là une question que me pose depuis longtemps – en réalité depuis peu d’années, puisque, comme déjà raconté dans les premières notules, je n’ai découvert que très tardivement les logiques propres à la nature, ou même les noms de ce qui nous environne ; alors même que j’ai pour partie grandi dans la campagne la plus reculée ! Une éducation que je n’ai pas reçue, parce qu’elle était trop évidente peut-être, ou parce que je n’étais pas alors réceptif à cette architecture-là.

Cette question, ou plutôt cette exclamation : comme il doit être terrible de vivre dans une ville où l’on est privé du couchant ! L’exposition de certaines villes, en montagne ou au pied de collines, ou même les fronts de mer orientés à l’Est et ceinturés d’immeubles, empêche de profiter des derniers feux autrement qu’en tant que réduction de la luminosité. J’y pense très souvent, depuis mon passage à Saverne, adorable ville blottie au pied des Vosges, qui s’élèvent sur tout son flanc… Ouest. Il fait nuit 1h avant toute l’Alsace – où la nuit arrive déjà 30 minutes avant Paris et 1h avant Brest. Et plutôt que l’exubérance du couchant, on vit plutôt la croissance de l’ombre. Passer toute une existence ici, il y a quelque chose de profondément mélancolique dans son principe – pas vraiment dans sa réalité, puisque je vis au rez-de-chaussée d’un appartement parisien, ville certes totalement dans la plaine, mais entre les constructions et l’orientation, il fait nuit 1h30 avant le réel coucher, et pour contempler le crépuscule, il faut de toute façon s’extirper loin des villes ou grimper quelque part, exactement comme un Savernois peut passer la montagne et profiter sans nul doute d’étendues de plaines magnifiques baignées par le soleil… C’est donc plutôt une position de principe.

6. Parenthèse méditerranéenne dans le Bas Vaucelas

Une fois traverse le petit hameau de Vaucelas, là aussi centré autour de belles fermes, propices aux #PassionMurs,

je crois avoir mangé mon pain blanc, et poursuis sur la route, en réalité enchanteresse : au milieu des herbes sèches – et des chemtrails commandés à Bill Gates par Klaus Schwab pour assurer notre docilité envers les ukrainiens drogués nazis qui nous privent des rhinocéros roses blindés ailés invincibles de l’espace –, j’aperçois les affleurements calcaires typiques de cette zone (le site géologique des Sablons, la Butte à Gué, la Roche Ronde, la Carrière des Brétines ou le Rocher Bizet, sur le GR 11 à l’Est d’Étréchy, en témoignent, avec une végétation atypique et une grande visibilité sur toute la vallée).

(les affleurements calcaires au Nord-Ouest d’Étréchy)

(les herbes folâtres)

(Ambiance assez peu francilienne au sommet de la Butte à Gué, avec vue sur les coteaux formés par le sable agrégé des anciennes mers ! À l’Est d’Étréchy, photo d’août 2022.)

Et en grimpant sur la butte qui longe la route, quel changement immédiat ! Des buissons, de l’herbe rase, des chênes pubescents (plus petits, et qui conservent leurs feuilles mortes sur leurs branches), des pins sylvestres trapus, développés en parasol comme dans le vrai Sud. Enfin un peu de vert, et surtout ces odeurs…

Une butte microscopique en bord de route, et tellement hors de tout ce qui l’entoure…

Sachez toutefois que je sélectionne très rigoureusement mes binômes de promenade sur leur capacité à ne pas interpréter en permanence On dirait le Suuuuud. Vous voilà prévenus.

7. Saint-Étienne d’Étréchy

La ville n’est pas remarquable en elle-même, assez étendue pour cette zone de l’Essonne, et une grande partie, y compris la plus ancienne (ces rues étroites, droites, passantes, commerçantes, très longues), est essentiellement fonctionnelle. Elle reste cependant à tout à fait agréable et à taille humaine, a fortiori lorsqu’on s’est échappé de la Gueule de l’Enfer parisienne.

Je retrouve avec plaisir Saint-Étienne en solo – j’ai été très bref la dernière fois pour ne pas peser sur mon binôme, moins chasseur d’églises que moi (…comme à peu près tous mes binômes sauf C., avec qui je passe allègrement plus de trois heures dans la moindre cathédrale, et au moins une heure pour une église de campagne dès que le décor sort un peu de l’ordinaire).

Il y aurait de quoi nourrir une notule entière : une évolution d’un gothique XIIe ascétique (à chevet plat, la honte) à un XIVe plus orné (quelques très beaux motifs feuillus), une nef très sombre à cause de la surélévation de la toiture au XVIIe siècle, sans doute pour pallier des problèmes d’étanchéité, ce qui a condamné les fenêtres hautes de la nef, une belle collection de vitraux XIXe assez soignés, avec la caractéristiques d’inclure de l’architecture, voire des vitraux dans les vitraux, une belle chaire à prêcher XVIIe, et des vitraux XVIIe d’une vivacité de coloris que je n’aurais pas soupçonné si ancienne. (On pense qu’ils sont au maximum fin XVIIe car largement identiques à ceux qui ont été obturés par l’élargissement de la toiture au XVIIe siècle.)

Sans singularité particulière qui justifierait de traverser des mondes pour la voir, sa sobriété ne manque pas de charme, et ses détails ornementaux soutiennent largement l’intérêt pour une petite heure.

Un mini dépôt-musée dans le collatéral Nord met en valeur l’abat-son (autrement dit le toit) de la chaire d’origine, quelques fragments lapidaires, et surtout un étonnant mécanisme de carillon en bois, qui semble avoir été conçu par un artisan local anonyme.

Un Saint-André mélancolique sur la nouvelle chaire à prêcher de 1627.

Les éclatants vitraux supposément XVIIe, que je trouve d’un style et d’un coloris remarquablement second XIXe, comme si rien ne s’était passé en deux siècles dans la pratique des souffleurs. (Très beaux néanmoins.)

Motifs floraux du chœur, très prégnants, dus à l’atelier Florin de Chartres (1864).

Parmi tout le cycle des années 1892-1894 dans la nef et le transept, je trouve très impressionnants les ciels d’orage pour la Translation des reliques de saint Adolphe. (Pas du tout un saint vénéré localement, probablement un prénom dans la famille du donateur.)

Dans le transept, surprise, saint Vincent de Paul pose devant Notre-Dame de Paris… mais avec le clocher d’Étréchy reconnaissable sur le flanc Sud de la cathédrale !

Plus saisissant encore, Louis IX représenté en train de déposer les reliques dans la Sainte Chapelle (oui, je sais, c’est davantage l’église de Domont que la Sainte Chapelle…), avec là aussi une architecture intérieure intégrée au vitrail… et même des vitraux avec des figures de saints figurés à l’intérieur du vitrail ! (Certes, vous me direz, le vitrail XIXe, c’est décidément beaucoup de peinture, le verre est découpé en larges bandes peintes.)

Je finis avec les très beaux piliers feuillus (et l’on devine les nervures doubles des prémices du gothique), que j’aurais volontiers admiré plus à loisir, n’étaient les trains et la présence de mon concert du soir.

C’est le moment de passer aux leçons de la balade.

8. Faune

Je n’ai guère croisé d’autres animaux que de jolies araignées des bois (profils d’épeires) et des oiseaux – plus quelques moucherons non identifiés mais violemment amoureux de ma face, dans les champs.

Clairement, les chanteurs commencent à revenir, et c’était plaisir, même si je ne puis m’empêcher de remarquer qu’on en entend davantage dans les jardins des villages ou dans les bosquets à proximité que dans les bois ou les champs, ce qui est conforme aux observations catastrophiques opérées ces dernières décennies : pesticides → disparition d’insectes → déficit de nourriture → effondrement des populations de passereaux.

Plus que les passereaux (bien sûr, grimpereaux, fauvettes et merles étaient de la partie), énormément entendu de pics épeiches tambouriner les arbres et le joli écho des buses à la recherche de proies dans les clairières et vallons.

9. Flore

L’identification de loin et un peu plus difficile l’hiver pour les feuillus, mais sans surprise dans cette région de l’Essonne, dominent les grands chênes pédonculés, et dans les espaces façonnés par l’homme, marronniers, tilleuls à grandes feuilles, peupliers noirs d’Italie sont de la partie.

Pour la petite pinède du Bas Vaucelas, on croisait le genêt à balai, de la bruyère en fleurs, les ras mais hirsutes lycopodes sélagines, l’armoise blanche qui s’étend par-dessus les compères avec son aspect mycologique…

C’est déjà le printemps ! Les pimpants fruits hivernaux de l’églantier et ceux cotonneux de la clématite finissent par s’épuiser, ceux du cotonéaster sont encore triomphants, les derniers perce-neige restent fidèles,

mais c’est le moment de la floraison pour l’arbre de Judée, la viorne odorante (tellement bien nommée, un archétype floral pour les voies supérieures !), la bergénie à feuilles charnues !

Et les fleurs au ras du sol sont bien sûr là : le pissenlit découpé (à plusieurs stades de croissance), la pâquerette annuelle, la jonquille, la véronique commune, la ficaire, et bien sûr les proverbiales primevères (littéralement les premières du printemps), ces dernières surtout le long des jardins cependant – plutôt qu’à l’état sauvage.

10. Une aventure intellectuelle

Il y a tellement de bonnes raisons de marcher !

Pour se délasser, pour prendre le soleil, pour tout oublier, pour faire du sport, etc.

En réalité, cette pratique que je nomme promenade (9 km en 5h, quand un humain à bon pas sans se presser fait du 4 km/h, je pense que c’est de l’ordre de la flânerie poétique…) n’a pas grand rapport avec ce qu’on nomme usuellement randonnée. Mes camarades me désignent ainsi, et je le dis quelquefois par commodité, et cependant rien ne me rendrait plus malheureux que de randonner – en tout cas sans en être averti.

Je repense à cette conversation plusieurs fois eue avec des copains :
— Oh oui, moi aussi je fais de la rando, mais j’y fais doucement hein, pas plus de 40 km par jour quand c’est en plain l’été en Espagne.
— Je te conseille ce petit circuit facile, 1000m de dénivelé positif sur 20 km, ça fait une journée de marche pas trop chargée, etc.

Je ne crois pas avoir déjà fait plus que 25 km (en plaine, sur une journée totale). Question d’aptitude physique sans doute, je ne pratique pas assez d’autres sports par ailleurs – et je n’ai jamais eu de facilité de ce côté – pour encaisser un rythme suffisamment rapide sans forcer sur les articulations. Mais c’est surtout une différence de conception : lorsque je demande à ces camarades comment ils font, si ce n’est pas frustrant de ne faire que marcher, on me répond en général : « si, si, on n’est pas des monstres, on a le droit de faire des photos à la pause du midi, et une fois on m’a laissé entrer dans l’église devant laquelle on passait ».
Cette chose-là est inconcevable pour moi : lorsqu’on accède à des endroits reculés où l’on ne reviendra selon toute probabilité jamais, il me faut absolument explorer, comprendre le lieu, ses raisons, ses lignes de force. Pourquoi ceci ? Pourquoi ici ? Et alors, si l’on passe à proximité de patrimoine, il faut nécessairement effectuer le détour, profiter du lieu, éventuellement opérer quelques recherches pour bien le comprendre, idéalement échanger avec les habitants. C’est un parcours initiatique comme la marche sportive, mais plus lent, plus intellectuel.

Et je crois que c’est bien ainsi qu’on pourrait caractériser mon exercice de la marche : oui, bien sûr, marcher est profondément apaisant, permet de se sentir simplement vivant, de mettre à distance le tourbillon de nos inquiétudes, de mieux se replacer dans le monde et s’abstraire des urgences ou des avanies… mais en ce qui me concerne, je crois que sa motivation est avant tout intellectuelle.

C’est la découverte d’espaces nouveaux, l’accès à un patrimoine, à un étagement soit de l’art humain, soit de la nature, la possibilité d’observer des logiques d’urbanisme (dans la vallée près de la rivière, sur le coteau avec sa vue…), des biotopes totalement différents (passer de la forêt francilienne de chênes pédonculés à la pinède méditerranéennes en passant par les bosquets laissés au milieu des champs de colza !), de comprendre un peu mieux comment s’est constitué le monde des humains et comment s’organise le vaste écheveau naturel dans lequel il s’insère.

Au delà de la ville, je pense que c’est surtout la machine à vapeur, l’électricité et le pétrole qui nous rendent si distants désormais de tout cela : nous ne manipulons aucun objet qui ne soit manufacturé par des machines, et cela met à distance notre rapport avec la matière-première, que sans pétrole nous devrions collecter et exploiter à l’échelle de familles ou de petites communautés. Parcourir les bois permet d’appréhender notre milieu de façon plus concrète, plus vivante.

Et, surtout, je crois que les forêts m’ont conquis par leur beauté architecturale, avec ces strates sous la canopée, comme un plafond vénitien : où qu’on porte le regard, il faut patienter et petit à petit percevoir les détails supplémentaires, rinceaux invisibles, les couches herbeuses qu’on n’avait pas aperçu de prime abord dans la profusion. La plasticité, la symbiose du vivant.

Aussi, lorsque je marche, c’est avant tout ma tête qui fonctionne, qui observe, qui essaie de comprendre. Des liens se font aussi avec la poésie, la musique – lorsque vous entendez les résonances métalliques un peu acides des pointes des érables planes agités par le vent, avec par-dessus les tintements légers des bouleaux, c’est un peu l’armature harmonique du clavecin qui se recrée.
Et, je ne le nierai pas, quelques anticipations d’associations musicales à publier sur les réseaux pour amuser les copains.

11. À front renversé

Je m’amuse de constater que ce chemin a été parcouru à rebours, j’ai l’impression, des exemples qui m’entourent : j’ai été passionné par l’architecture (notamment religieuse) dès l’enfance, volontiers enfermé dans les bouquins tandis que mes contemporains s’ébrouaient plus volontiers dans les champs, et c’est avec l’âge que me prend cette découverte fascinée et ce besoin de mobilité à travers l’espace.

En tout état de cause, l’observatoire du printemps à commencé, les cerisiers ont même produit des fleurs dès le mois dernier à Paris ! À bientôt pour de nouvelles aventures bourgeonnantes !


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