Nom de pays : le nom – Douy-la-Ramée

Douy-la-Ramée à Étrépilly via le château de Fontaine les Nonnes (77, Ourcq Ouest).

Quatrième expérience de TÀD (Transport à la Demande) : il suffit de s’inscrire sur l’application TÀD IDF en choisissant sa zone, puis vous demandez votre bus à la carte entre les localités de votre choix. En l’occurrence, j’ai été gratifié d’un car pour moi seul. (Bilan carbone médiocre dont je ne suis pas fier, moi qui ne prends jamais que des transports en commun.) [Ma règle, pour ne pas priver les vieilles dames ou les lycées de leur moyen de transport local, est de ne réserver que la veille tard ou le jour même, jamais avant. Je change mes plans si aucun véhicule n’est libre. Et en principe nous sommes toujours quelques-uns, pas seulement moi dans le bus !]

Je raconte donc cette balade pour partager quelques menus émerveillements, mais elle n’est clairement pas la plus aisément reproductible ! 2 trains + 1 TÀD aller, 1 bus de ligne + 1 train différent (avec une heure d’attente en gare) au retour, c’est beaucoup de transports et de synchronisation à prévoir en amont, d’autant plus lorsque le jour finit tôt et que toute promenade devient à l’aveugle passé 18h…

Gare parisienne : Paris Est (ligne P direction Château-Thierry, correspondance pour La Ferté-Milon à Meaux, absolument indolore car toujours très bien synchronisée, sur le même quai 6 minutes après)
Gare de départ : Lizy-sur-Ourcq (Seine-et-Marne)
Gare de retour : Lizy-sur-Ourcq ou La Ferté-sous-Jouarre (Seine-et-Marne)
Distance : 9 km.
Durée : 3h30 pour moi (car fait demi-tour), sinon 2h30 à 3 km/h (marche douce)

Magie des transports en commun (merci U***)

Je commence par partager ma découverte ébaubie de la journée : moyennement confiant envers les bus qui n’apparaissaient dans aucune application de transports, j’ai ouvert les applications de VTC (Bolt, Uber…) – j’en ai pris 4 fois dans ma vie, uniquement pour me sortir d’un mauvais pas en rando (des histoires épiques à raconter !). Mais la prudence veut que pour éviter de me retrouver pris par le temps pour attraper un dernier train intermédiaire, coincé dans une campagne sans réseau, je conserve tout de même les applications sur mon téléphone, pour avoir simplement besoin de la brève connexion de réservation.

Quelle ne fut pas ma surprise, en contrevérifiant tout cela au fil de ma balade, de constater qu’Uber me proposait des bus qui n’étaient pas du tout indiqués dans les applications de transports (CityMapper et même l’officielle Île-de-France Mobilités) – et, contrairement à Google, qu’il éliminait bien les bus qui ne fonctionnent pas pendant les vacances scolaires ! 
Résultat : j’ai eu mon bus, il passait à l’heure dite, et m’a gracieusement déposé à la gare de mon choix – avec une gare ouverte où j’ai pu travailler à une table, et sans correspondance contrairement à l’aller. Un petit miracle un 23 décembre dans la campagne picarde ! Clairement l’application Uber va devenir un compagnon de voyage – non pas pour commander des berlines.

Aux confins de la Picardie : ressentir le territoire

C’était ma quatrième expérience en TÀD, toujours aussi magique : la collectivité m’offre mon taxi et je me retrouve dans des lieux tout à fait reculés qui n’évoquent plus l’Île-de-France de mon quotidien, de véritables campagnes tout à fait reculées, où l’on a peine à imaginer qu’il existe, quelque part pas très loin sur le même territoire, des mégalopoles débordant d’humains. Un autre monde, une tout autre vie.

En l’occurrence, sur la rive droite de l’Ourcq (donc tout à Nord de la Seine-et-Marne), l’allure est vraiment celle de la Picardie profonde : les immenses champs de betterave très légèrement vallonnés, les clochers aux allures fortifiées, les fermes omniprésentes, les ardoises, les villages serpentant aux rues claires et étroites… De fait, j’étais à 700 m de la frontière avec l’Oise et la province picarde ; et la topographie comme la toponymie en sont tout à fait semblables.

C’est, quitte, à le redire, un des grands plaisirs de la marche régulière dans une région : on éprouve les frontières naturelles. Les départements ont été conçus pour rendre le chef-lieu accessible à tous (en une journée de cheval, comme on sait), mais pas forcément en fonction des biotopes. Pour moi qui me promène régulièrement en Île-de-France, il est devenu évident qu’aimer se promener « en Essonne » ou « en Seine-et-Marne » n’a pas grand sens – bien sûr, en Essonne, entre Massy ou Évry et Saint-Chéron ou Monnerville, on rencontre l’opposition entre la ville nouvelle et la campagne absolue, mais pour en rester à la seule campagne, le contraste est immense aussi.

L’Essonne (92) contient de vastes plaines (avec des villes au Nord, des champs au Sud, zébrée de vallées boisées dont les coteaux offrent parmi les rares hauts reliefs de la Francilie. Dans cette zone que l’on appelle Hurepoix, chaque vallée à son caractère propre.
S’écoulant vers le Nord, trois rivières.
L’Essonne (le long de la ligne D direction Malesherbes, via Mennecy, La Ferté-Alais, Maisse…) avec ses étangs, qui voisine avec le Gâtinais au niveau de Milly-la-Forêt (la zone de Fontainebleau, grandes forêts, sols sablonneux, relief moins lié aux rivières) .
La Juine (le long de la ligne C direction Étampes, via Lardy, Chamarande, Étréchy, et se poursuivant au delà de la ligne via Ormoy-la-Rivière, Saclas, Méréville…), aux sols mixtes, bordée de châteaux et de petits plateaux. Plusieurs vallées d’affluents avec chacune leur caractère : le long de la Louette et de la Chalouette (Chalo-Saint-Mars), de la Marette (Guillerval), de l’Éclimont (Saint-Cyr-la-Rivière)…
L’Orge (le long de la ligne C direction Dourdan, via Arpajon, Breuillet, Saint-Chéron), avec ses coteaux de part et d’autre assez élevés pour la région et très boisé, zone forestière intense, riche en églises surprenantes (charpente contemporaine à Breuillet, grande basilique rayonnante avec vitraux XIIIe à Saint-Sulpice-de-Favières, allures archaïques à Saint-Yon…). Lui aussi avec ses vallées d’affluents, aux contours plus diffus (la Rémarde surtout, via Saint-Cyr-sous-Dourdan).
Selon que vous vous promeniez dans les champs autour d’Angerville ou dans la vallée toute proche de la Juine au Sud de Méréville, le territoire n’est vraiment pas le même. Le Sud du département, avec ses vallées, appartient d’ailleurs plutôt au Stampien (« pays d’Étampes ») qu’au Hurepoix, même si la dénomination semble très peu usitée.

C’est encore plus vrai pour la Seine-et-Marne (77) où je me trouvais pour cette balade : quel rapport entre le Gâtinais (incluant la forêt avec un peu de relief à Fontainebleau, le bocage de la Bière sur son flanc Ouest, les bords de l’Yonne à l’Est, que les autochtones appellent par erreur Seine) et la Bassée toute proche (zone humide à l’Est du confluent de Montereau, dont la topographie évoque déjà beaucoup la vallée de la Loire) ? Tout cela le long des deux lignes R (direction Montereau-fault-Yonne et Montargis).
L’immensité du département est due à la présence aux plateaux de Brie de la Goële au centre du département, immensités plates dévolues aux cultures, de peu d’intérêt pour la balade (et d’un intérêt limité pour le patrimoine, si l’on exempte Provins à son extrémité, et quelques exceptions comme Rampillon) : on voit tout de très loin, très peu d’évolution de paysage – et, dans Goële, les nuisances considérables du couloir aérien de Roissy. Ces étendues sans relief permettaient sans nul doute de parcourir plus de distance en une journée, et donc d’étendre la surface du département. (Ligne P direction Provins et Coulommiers.)
Tout au Nord, séparé par le plateau de Brie et donc sans aucun rapport sur le plan des sols, c’est un tout autre univers, particulièrement propice à la balade : les vallées de la Marne et de l’Ourcq (zone qu’on appelait autrefois le Multien). La vallée de la Marne est desservie par la ligne P direction Château-Thierry et contient toutes les localités sur la rivière après Meaux (La Ferté-sous-Jouarre est la grande ville de la région, celle où vous trouverez des commerces ouverts le dimanche après-midi et une vaste offre de bus). Grande vallée qui serpente entourée de bois, là aussi on sent déjà le chemin de la Champagne – le paysage deviendra plus typé à Épernay, mais s’inscrit dans la continuité de ces boucles boisées. Quant à l’Ourcq, c’est une vaste zone aux ambiances très contrastées, une campagne très vallonnée sur la rive gauche (mais toujours de petites hauteurs) dès qu’on s’éloigne des marécages, la campagne picarde sur la rive droite (où j’étais hier), et bien sûr la partie très domestiquée du canal, en parallèle de la rivière. Beaucoup de patrimoine dans les villes, de belles églises ornées, des châteaux un peu partout, plus anciens qu’en périphérie de Paris…

Ainsi, en me promenant dans cette campagne, j’ai pu sentir à quel point, toute francilienne qu’elle se prétende, cette zone au Nord de l’Ourcq appartenait totalement à l’univers picard… satisfaction de sentir ce territoire, avec l’impression que si l’on m’y emmenait les yeux bandés, je pourrais deviner dans quelle région d’Île-de-France on m’a conduit. Et de comprendre mieux l’articulation (économique, avec les ressources naturelles ou humaines propres ; artistiques, avec les parentés de clochers) entre les différentes frontières des anciens pays, qui ne correspondent pas vraiment aux découpages administratifs, ni même aux antiques Provinces, mais bien davantage aux caractéristiques concrètes des sols.

« Il y a toujours un silence extraordinaire »

Petit récit de la balade, manière de vous en partager les arcanes, les petits bonheurs – et de pouvoir écouler les photos. 

Je me retrouve donc déposé à Douy, tout petit village à l’église décatie et poétique – son chevet est en partie invisible, il donne sur la cour de la ferme qui la jouxte ! Malgré ses apparences de gothique massif, l’ensemble de l’église Saint-Jean-Porte-Latine date dans son ensemble, d’après les rares informations disponibles, du XVIe siècle ! 

Je vise le château médiéval de Boissy (en périphérie du village de Forfry, juste au Sud-Ouest, mais malgré les prévisions météo sans pluie, je me trouve sur une route bitumée face à un crachin persistant qui m’oblige à avancer à reculons pour ne pas avoir la face trempée … et me voilà destiné à continuer sur plusieurs kilomètres ! 

Au bout d’un kilomètre, je fais le choix raisonnable : rebrousser chemin pour avoir la pluie dans le dos, sachant que le bus retour que je vise passe dans les localités au Sud-Est (Étrépilly, Le Gué à Tresmes…), en me rapprochant de Lizy-sur-Ourcq. Comme j’avais déjà fait un retour en arrière pour voir l’église, je traverse le village de Douy pour la troisième fois, et me mets en route vers la ferme de Nongloire, où je longue des monceaux de betteraves sucrières.

Le voyage commence à devenir intéressant : j’aperçois sur les collines environnantes les autres villages, chacun avec son église, Forfry, Gesvres-le-Chapitre, Marcilly, les fermes du Hameau de la Borne Blanche superposées à l’église de Barcy (les deux collines sont de même hauteur, seul le clocher dépasse !).

Au milieu du plateau, un moulin ruiné (?), nulle part cartographié, se dessine sur le vert des champs d’hiver, tandis que les nuages, commençant à se déchirer, laissent çà et là passer des langues de feu.

La fin de la descente se déroule le long d’un champ entièrement retourné d’où l’on a dû extraire les betteraves. Je suis frappé par la réverbération du soleil sur la terre compactée, dont le marron profond s’illumine comme autant de massifs miroirs sur l’étendue gaste.

(Luminosité trop faible pour être correctement captée par la photo.)

Fors le vent dans les cimes des haies de clématites et d’églantiers, je me trouve environné d’un silence extraordinaire : pas un bruit de moteur, d’oiseau, d’insecte. Le calme absolu de l’hiver dans les provinces reculées.

Je me rends alors compte de l’importance du calme et du silence dans mes explorations francilienne, à quel point cette paix sonore m’est précieuse.

Et me voilà au bas de la grande descente de Douy (40 m de dénivelé négatif), apercevant le mur d’enceinte du domaine du château de Fontaine les Nonnes (ou des Voyeux ?). Vais-je y jeter un coup d’œil ? C’est bien possible.

Impossible de d’apercevoir les allées symétriques annoncées, ni le château lui-même – on peut paraît-il apercevoir la chapelle classée depuis la rue, mais je n’avais pas le temps de faire tout le tour du domaine si je voulais ne pas rater le dernier bus et doubler mon kilométrage pédestre, de nuit. Il semble que ce soit essentiellement un élevage de chevaux, y compris dans les parties supposément plus résidentielles sur la carte.

Je me glisse dans l’entrée pour voir un peu l’allure : des pâturages sans apprêt particulier, avec tout de même cette petite folie à étage, reposant sur des piliers doriques.

Demi-tour, la promenade reprend.

J’évite le bois de Romont et je longe d’en haut les champs dit d’Opigny.

Petit sentier délicieux : le ciel se dégage enfin, laissant paraître un beau bleu particulièrement clair, et les vagues rosissements de ce qui passe de soleil par-dessus les nuages offrent enfin un peu de couleur.

La petite allée d’arbustes dispose aussi de ses couleurs propres : les troncs gris des nombreux noyers, le marron franc des ormes aux troncs découpés, le blanc des fleurs des clématites, les fruits rouges des églantiers, le brun de l’herbe sèche, le noir myrtille des fruits du lierre de Perse…

J’y débusque un faisan mâle, tout proche du sentier, qui prend majestueusement son envol sans trop de hâte, ainsi qu’un ou deux merles noirs – mais les oiseaux ne sont clairement pas de sortie, pas un son ornithisant à l’horizon.

Je débouche enfin sur le dernier champ – divisé en deux sections indiscernables, « Pain bénit » puis « Charon ». Les lumières célestes de la fin du jour font leur magie et procurent enfin un peu de relief aux paysages d’hiver francilien.

Un dernier coup d’œil au clocher de Marcilly qui m’a accompagné durant toute cette escapade.

Il paraît si lointain, si inaccessible, et pourtant deux kilomètres seulement nous séparent. Je peine à croire que je puisse l’atteindre en une demi-heure, mais c’est tout le jeu des paysages lorsqu’on a perdu, comme nous autres citadins, ou ruraux junkies du pétrole, la mesure des distances visuelles et pédestres.

Je retrouve alors, au terme de ce sentier encore boueux, le bus promis par Uber, parfaitement à l’heure pour me déposer à la gare non pas de Lizy mais de la Ferté-sous-Jouarre, le grand nœud polymodal de la contrée.

Pour ces moments fugaces de couleurs de sous-bois et de couchant, ces vues sur les clochers alentours, et ce silence extraordinaire, une balade qui fut sauvée. (Mais un peu technique à mettre en œuvre pour des promeneurs occasionnels.)


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