Chapelle de Lourps : marche musicale

Troisième samedi de l’aventure Inventio, le festival atypique qui explore le répertoire à travers des formations inhabituelles et des compositeurs moins mis à l’honneur, couplé avec des expériences esthétiques et/ou sensorielles propres à chaque concert.

Après la visite des ruines de l’abbaye cistercienne de Preuilly – l’une des premières filles de Cîteaux –, la séance d’observation ornithologique à Bray-sur-Seine, ce week-end-ci proposait une randonnée autour de la chapelle de Lourps, au Sud-Ouest de Longueville, pour un concert chambriste au format très inhabituel : violon, alto, contrebasse. Et comme à chaque fois dans un lieu patrimonial très impressionnant – et une très bonne acoustique.

Cette fois-ci, je vous le raconte sous le format de Carnets sur sol (boueux), pour raconter l’expérience à destination des compères & commères promeneurs.

Première étape : le train vers Longueville, sur la ligne la plus longue du Transilien – il faut 1h20 pour arriver à Provins, mais seulement un peu plus d’une heure pour Longueville. Très agréable, peu d’arrêts, pas du tout saturé le samedi en milieu d’après-midi. Dès l’arrivée à la gare, on peut apercevoir la chapelle au Sud-Ouest du promontoire où se loge la gare.

Accueil de grand seigneur par les bénévoles / fondateurs du festival : une navette gratuite (et chaleureuse) nous attend à la sortie de la gare. Richard nous y apprend l’histoire de Longueville et de ses usines de traitement du cuivre désaffectées sur lesquelles je m’étais promis de lire un peu.

(En effet Longueville est une destination régulière pour moi, l’un des meilleurs lieux pour observer le coucher du soleil à la mi-saison, sa butte, couverte de froment et de colza, offre des vues remarquables sur la cité de Provins. Je suis d’autant plus curieux de son histoire, par conséquent.)

Première partie du concept du jour : la promenade des moulins, une petite boucle au Sud de la chapelle. À bon pas, plutôt un rythme de 4 à 5 km/h, assez au-dessus de mes standards ; ma blessure aidant, je me fais dépasser (mais si je suis honnête, c’est ainsi à chaque fois, je suis toujours là à observer les plantes et écouter les oiseaux, je finis forcément dernier). Cependant tout est très bien organisé : pour ceux qui fatiguent, les bénévoles viennent raccompagner tout le monde et les placer à l’ombre de l’église pour papoter.

Depuis le sentier, on aperçoit, à gauche de la colline de Longueville, la silhouette de la Tour César et de Saint-Quiriace ! Pour les fans comme moi, sachez que dans l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas, à côté de la Sorbonne, le Chemin de Croix représente, en guise de vues de Jérusalem… la skyline de Provins.

De mon côté, un peu têtu malgré la douleur que j’ai à marcher – ceux qui suivent mes aventures n’en seront pas complètement étonnés –, je m’improvise une boucle raccourcie via un sentier non cartographié mais tout à fait existant. Je veux tout d’abord grimper sur la colline adjacente pour obtenir le meilleur contrechamp, mais malgré mon éloquent et sonore récit du Graal de Lohengrin, le chasseur qui tire les faisans sur la butte poursuit sa besogne – je préfère renoncer devant l’évidence du danger.

C’est donc par ce chemin délicieux que je termine en avance ma promenade… moment idéal pour être présenté aux bénévoles (Les Amis de Lourps) qui ont maintenu pendant des années une vie dans cette singulière chapelle, et constitué un recueil d’informations sur son histoire.

L’église castrale de Lourps (les locaux prononcent « Lour »), dédiée à saint Menge, attachée à un château aujourd’hui disparu, remonte à la fin du XIIe siècle, dont elle conserve l’aspect dépouillé du premier gothique : nef unique, chevet plat. Mais ses voûtes doivent être plus tardives, des ogives traversées d’un arc brisé supplémentaire.

Mais la sensation du lieu réside surtout dans son décor, plus tardif : peintures murales des XIIIe et XVe, et tout un programme de vitraux contemporains (Gilles Rousvoal, 1993-4) particulièrement réussi !

Rinceaux, entrelacs floraux, animaux, les fragments conservés ou restaurés des peintures sont assez émouvants. Du reste, le soulignement rosé de l’appareil était manifestement déjà présent au XVe siècle.
La restauration a eu lieu très progressivement, suite à l’effondrement de la voûte du chœur en 1966 : la toiture n’était plus entretenue, et avait fini par céder. Le processus de reconstruction et de réhabilitation a été très long, jusqu’en 1999.

La chapelle en 1989, photo mise à disposition par Les Amis de Lourps.

La chapelle n’est ouverte que pour les événements, la visiter représente donc un privilège très ponctuel même si, à ce que l’on me dit, la mairie peut accepter de la faire visiter sur demande.

Le concept de coupler le concert avec une activité en lien avec les lieux se matérialise très logiquement dans la réservation des premiers rangs aux randonneurs – je fus donc particulièrement avantageusement placé… et très surpris d’entendre une acoustique aussi précise, agréablement enveloppante mais peu réverbérée, dans une église gothique aux voûtes plutôt hautes. Le chevet plat, l’absence de déambulatoire, de collatéraux, de chapelles latérales ou rayonnantes… tout cela doit contribuer à créer une acoustique idéale de type « boîte à chaussure », comme au Concertgebouw amstellodamois ou au Konzerthaus viennois.

Une fois de plus, Léo Marillier a conçu un programme particulièrement original et intelligent : ce trio violon-alto-contrebasse, très peu usité, se déploie d’abord à travers chaque duo possible.

Violon-alto, pour les Trois Madrigaux de Martinů : écrits au sortir de la guerre (1947), juste après le massif des cinq premières symphonies, ce sont des pièces très évocatrices et contrastées, où Léo Marillier et Tess Joly explorent des atmosphères farouches, dégingandées, poétiques avec une beauté de timbre et une aisance qui stupéfient. La première pièce, assez sauvage, reste dans une structure tonalité très identifiable mais module (i.e. change de gamme de référence) de façon soudaine et répétée, parfois au cœur des phrases. La deuxième, d’un calme très charismatique, débute par des trilles mystérieux avec sourdine, se tourmente, se déforme, pour finir de façon tout à fait inattendue dans un lyrisme lumineux mendelssohnien. La dernière se révèle bien plus dansante et folklorique.
Ce fut, je pense, la pièce préférée du public, son intensité émotionnelle et sa singularité a beaucoup marqué, si j’en juge par les commentaires entendus autour de moi à la sortie.

Alto-contrebasse. Dittersdorf, dispose, certes, d’un vaste catalogue inexploité, et son talent est vaste, mais quelle belle surprise d’entendre une œuvre de sa meilleure veine : dans ce Duetto, on retrouve sa qualité mélodique habituelle (celle du Concerto pour clavecin en la, son tube le plus éminent), avec la profondeur d’assise supplémentaire apportée par la contrebasse ; je suis même impressionné, chose particulièrement inhabituelle, par la qualité musicale des deux menuets, qui ne se contentent pas de décorer ou de faire respirer. Les variations finales débutent de façon assez traditionnelle en accélérant la partie supérieure, de plus en plus couverte d’ornements, mais la cinquième bascule dans un esprit plus concertant et surtout la quatrième se fond dans la plénitude très séduisante d’une lente homorythmie, moment suspendu et caressant. 
Ce duo atypique était sans doute conçue pour un autre instrument que la contrebasse : violone (grand violon) est assez ambigu et polysémique, mais la tonalité de mi bémol, assez peu commode, laisse à penser que Dittersdorf n’avait pas écrit pour notre double bass actuelle. Les interprètes l’approchent d’une façon moderne, tout en demeurant du côté de la sobriété (peu de vibrato) ; j’ai été particulièrement sensible au timbre exceptionnel de Tess Joly (déjà remarquée dans le Quatuor Akilone et le Quatuor Joyce), à ses phrasés très souples qui ne trahissent pas la moindre maniabilité de l’alto, ainsi qu’aux subtilités agogiques de Will Mc Clain Cravy à la contrebasse, dont les effets de fluctuation du tempo ou du phrasé procurent un véritable dynamisme à la pièce.
C’est pour moi de la joie pure qui émane de cette écoute, clairement l’œuvre qui m’a le plus directement touché dans cette soirée – ce n’est pas complètement une surprise, mais je n’avais aucune assurance, avant que d’écouter, qu’il s’agissait d’un des meilleurs Dittersdorf et non simplement d’une œuvre un peu au hasard dans son catalogue !

Violon-contrebasse. Cette fois, un Duo concertant de Penderecki, extrêmement virtuose, varié dans ses effets, qui m’a à la vérité moins intéressé que, car davantage fondé sur la virtuosité. (Pour autant, je suis à nouveau frappé par la musicalité des deux musiciens, vraiment le haut du panier du chambrisme international.)
La curiosité étant que, pour une pièce tardive de Penderecki (sa période « néo-romantique »), elle renoue pour partie avec l’expressionnisme de sa première période !

Enfin, les trios ! Un Divertimento de Haydn, où l’alto tient plutôt un rôle d’accompagnement (complément des harmonies suggérées par la contrebasse). Et en bis, un arrangement de Léo Marillier d’An die Mond de Schubert, où la partie de chant est tenue par l’alto, fin tout en délicatesse.

Mais la journée n’est pas finie : un goûter (à nouveau, gratuit) attend à la sortie de la messe musicale, avec des chouquettes de haute volée, du kouglof fondant, de petites fougasses, et surtout le meilleur Brie de toute la Terre.

Expérience plus personnelle, le retour en compagnie des artistes, ce qui n’est pas ma coutume ; mais je dois dire que le naturel de la conversation (notre contrebassiste est passionné de linguistique européenne et partage très volontiers ses trouvailles) correspondait très bien à l’esprit de ce festival, complètement transversal – chacun s’y sent d’égal à égal, spectateurs, bénévoles, organisateurs, maires, musiciens, on y croise tout le monde sans cérémonie, et l’abord est exceptionnellement facile. C’est aussi un des plaisirs d’Inventio.

C’est 15€. Pour le concert, l’activité, le goûter, la navette. Il reste une date le 7 juillet. Des dates en septembre et octobre. Les programmes sont passionnants, les lieux fous, les activités réjouissantes, le goûter succulent, l’accueil chaleureux. Courez-y.


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